Parfois je ris tout seul, Jean-Paul Dubois



Il n’y a pas vraiment de quoi rire Jean-Paul. L’ambiance qui émane de ton bouquin est plutôt mélancolique que drôle. Alors oui, certaines lignes font sourire, mais c’est pour mieux contraster avec la tristesse que tu véhicules comme un fond sonore au fil des pages. Je dirais que c’est plutôt un rire jaune qui illustrerait le mieux tes propos. Attention, ne te méprends pas, je ne suis pas en train de dire que je n’ai pas aimé ton livre. Bien au contraire. L’absurdité mélangée à l’hyper-réalisme de ces chroniques de la vie quotidienne m’ont chamboulée. Parfois je m’y suis identifiée, parfois non, mais jamais elles ne m’ont laissée de marbre. Passant de nouvelles de quatre lignes à trois pages, tu nous prouves que la longueur ne fait pas forcément la puissance. D’ailleurs tes titres ne sont composés que d’un mot. Un seul mot. Le bon. Un mot du quotidien qui a presque perdu son sens tant il a été utilisé"Ordonnance", "Fille", "Bras", "Tondeuse", "Tondeuse 2". Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ..? Et c’est en finissant tes récits miniatures que ce mot reprend tout son sens, tous ses sens.



Certains te comparent à Desproges ou Beckett pour ta maîtrise du langage et la façon dont tu t’amuses avec. C’est vrai que tu aimes les pirouettes. Mais moi, j’ai envie de te comparer au réalisateur Quentin Dupieux. Tu sais, celui qui a raconté l’histoire d’un pneu tueur dans le film "Rubber". Une histoire pareille aurait facilement pu se fondre dans ton livre non ? Son mythique «No reason» qui veut répondre à ceux qui chercheraient une explication rationnelle à un récit original, ou même aux questions de la vie, peut s’appliquer à chacune de tes pages. Pourquoi ton personnage qui ne peut pas blairer les Suisses possède-t-il un couteau suisse ? No reason. Pourquoi cet autre homme a-t-il vu un orignal sur la route de Saint-Sébastien ? No fucking reason. Et comme le dit le shérif dans la vidéo qui suit : "No reason [is the] most powerful element of style".


On ne sait jamais trop ce qu’il t’est passé par la tête mais il y a toujours un message que chacun peut interpréter comme il veut. Une sorte de liberté dans une histoire toute tracée. Et comme Quentin Dupieux, je trouve que ton oeuvre a une certaine poésie très actuelle. Une prose poétique plus exactement. Sauf que Dupieux a 15 ans de moins que toi (et 20 ans dans sa tête). C’est plus facile pour lui d’être de son temps. Toi tu es d’une autre génération mais tu parais, à travers ce livre, être de la nôtre. Celle dont le cerveau 2.0 a appris a apprécié les formats courts. Celle qui n’a malheureusement plus le temps de s’attarder sur une histoire trop longue. En parlant de temps, je pense que je vais te laisser le(s) mot(s) de la fin :




Les cauchemars de David Lynch sont en noir et blanc



David Lynch est un artiste multi task qui forge son mythe à travers les siècles (le 20e et le 21e tout de même). Films, peintures, photos ou musique, l’imaginaire lynchien nous embarque toujours dans un même processus intellectuel.
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Au premier abord, la frustration. La frustration de ne pas tout saisir. Où veut-il en venir ? D’où sortent ces personnages étranges et que cherchent-ils ? Une identité, une reconnaissance, une conscience ?
Puis vient le moment où l’on réalise que c’est exactement ce qu’on aime chez notre bon vieux Lynch. N’y rien comprendre. Alors on se laisse porter par son imaginaire qui devient le nôtre, on s’invente une histoire qui n’est peut-être pas celle qu’il avait imaginée. On se laisse bercer par son univers mêlant insectes, figurines, paysages et personnages difformes.
Elephant Man ou l’homme sans visage figurant sur ses photos semblent tous deux chercher leur identité à travers une souffrance physique. Les figurines posées sur les paysages sont comme des parasites qui viennent perturber le quotidien ; une tâche réaliste mais disproportionnée dans un espace familier.
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Et même lorsqu’il sort du noir et blanc qui semble presque une facilité pour entretenir la part de mystère, Lynch continue à nous surprendre. Dans Mulholland Drive par exemple, il réussit encore à nous perdre totalement. Seulement cette fois il n’utilisera pas l’anormalité physique (mis à part ce clochard dont j’ignore encore le rôle). Les personnages n’ont rien d’étrange, les décors non plus, et l’histoire pourrait être celle de n’importe quel autre film hollywoodien. Sauf qu’il réussit à tout faire basculer en un twist qui cassera la chronologie entière et remettra l’ensemble du film en question. Encore une histoire de songe…
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De toute façon, il nous prouve facilement qu’il n’a pas forcément besoin d’images pour véhiculer cette sensation de malaise perpétuel. Il suffit d’appréhender le Lynch musicien, notamment avec "I know", pour comprendre que le malaise langoureux est une qualité intrinsèque dont il ne se sépare jamais.
Ou presque, puisqu’une des seules exceptions reste celle du film "The Straight story" qui est une sorte de respiration sereine au milieu d’une nuit tourmentée. Sortant de son univers habituel, Lynch nous offre une ballade saine et compréhensible. A moins qu’un sens caché y soit camouflé ?
Quoi qu’il en soit, toutes ces oeuvres sont le résultat d’un inconscient tourmenté que chacun interprète à sa manière. Est-ce le reflet de l’inconscient de Lynch ou de celui du spectateur ?
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La superposition des plans, technique récurrente de l’artiste, crée un contraste entre le réel et l’imaginaire tout en les liant. Les deux objets forment une harmonie disgracieuse qui efface la limite entre le concret et l’abstrait. Chaque image est comme une hallucination, à la fois tangible et improbable. Inutile d’essayer de les décrypter, la logique disparaîtra. Comme lorsque vous essayez de raconter un rêve.
L’Oeuvre de Lynch est un mystère ambulant passant des grands écrans aux galeries en gardant la même poésie inquiétante. De sa dernière expo photo "Small Stories" à Elephant Man en passant par son clip pour Nine Inch Nails, ils résonnent tous entre eux comme un cauchemar récurrent en noir et blanc.
Alors la prochaine fois que vous vous réveillez d’un songe onirique et insolite, faites-en une oeuvre, sait on jamais…

Des nouvelles du futur : Comment la tendance Normcore a tué l’industrie de la mode

Ecrit le 6 avril 2068

«Maquillage», «éponge», «télévision», «la mode», ... Ces termes ne vous disent rien ? C’est normal, ils ont tous disparu au cours de ce dernier siècle. Seuls les septuagénaires s’en souviennent. Les trois premiers désignaient des objets qui ont petit à petit été remplacés par d’autres, plus pratiques. Mais le dernier terme «mode» constituait une habitude sociologique, un mouvement qui existait depuis des siècles. Il désignait l’ensemble de l’univers relié au style vestimentaire ; des styles qui changeaient d’années en années et de pays en pays. A l’époque, nous ne portions pas tous le même uniforme et il existait des milliers d’autres magasins que Gap pour nous vêtir. Inimaginable aujourd’hui n’est-ce pas ?

Mais comment en est-on arrivé là ?

Tout a commencé ici :



Début 2014, alors que la plupart des sociétés occidentales vouent une fascination au monde de la mode aussi varié que normé, la tendance appelée à l’époque «Normcore» fait son apparition dans les magazines. Opposée à la tendance «Hipster» qui consistait à s’éloigner du style vestimentaire «mainstream», à être le plus original possible, le personnage Normcore portait un certain soin à s’habiller le plus basiquement et le plus communément possible. Au début, la tendance a été fortement moquée souvent qualifiée de «wtf mode» par les webzines.

Et pourtant, milieu 2015, la folie de la normalité et du non-style touche 70% de la population mondiale. Une ascension fulgurante qu’aucune autre tendance n’avait égalé jusque là. Certainement aidée par les fonction-nalités du web de l’époque et par un certain ras-le-bol face à la toute puissance de cet univers. 

A l’époque, les Fashion week font et défont les tendances des mois à venir. Elles sont un concept consistant à voir défiler des personnes (appelées «mannequins») portant les nouvelles créations vestimentaires de grands stylistes. Les magazines spécialisés relayaient les nombreuses nouvelles tendances qui petit à petit étaient adoptées par le grand public. 

Défilé de mannequins à la Fashion Week en 2012

Mais lorsque le look Normcore finit par dévorer tous les autres existant, c’est tout un empire qui s’écroule. On a retrouvé Cara Delevingne, 76 ans, mannequin phare de ces années-là :
«Je me souviens, au début, ça me faisait rire. Je me suis même prêtée au jeu pendant quelques temps. On (les stars de la mode, ndlr) se montrait de plus en plus sous notre vrai jour, sans maquillage, sans accessoires. Un certain retour aux sources, au naturel. Puis j’ai vu la panique débarquer petit à petit dans tout le monde de la mode. Les enseignes de luxe fermaient les unes après les autres. Puis les grandes chaînes ont suivi, elles ne parvenaient pas à s’adapter aux envies de la population. Il n’y a que la marque Gap qui a survécu à ce carnage vu qu’elle était déjà adaptée à cette tendance puisque les vêtements qu’on y trouvait étaient les plus basiques du marché. Elle est devenue leader unique mondial du marché vestimentaire. Quant à moi, j’ai dû me réorienter dans la robotique.»

Cara Delevingne au naturel au début des années 2000

Avec le recul, on peut imaginer que cette tendance est apparue suite à une réaction sociologique à ce qui était appelé autrefois les «diktat de la mode», imposant au public lambda des normes physiques difficiles à suivre.

L’uniforme était la solution ultime à ce manque de liberté. Non.. ?

Des nouvelles du futur : Comment Durr nous a menés à la tyrannie des 5 minutes

Ecrit le 7 février 2053

Cinq minutes. Plus aucune activité ne se déroule en plus de cinq minutes. Lire un livre, dormir, manger, regarder la tv, notre vie est rythmée sur une hyper-productivité. Un rythme sur lequel notre horloge biologique semble naturellement basée. D'ailleurs, vous n'avez que cinq minutes pour lire cet article. Mais ne vous souvenez-pas d'une période où l'on prenait le temps de s'ennuyer ? Le temps de n'avoir rien à faire. Le temps de rêver les yeux ouverts.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Tout a commencé ici :


Fin 2013, deux Norvégiens inventent un nouveau concept de montre appelée Durr qui va "changer votre perception du temps". Ils ne croyaient pas si bien dire. Début 2014, la montre fait parler d'elle. Elle n'affiche ni l'heure, ni la date ; il s'agit seulement d'un écran coloré. Sa particularité ? Elle vibre toutes les 5 minutes. Les deux designers sont partis d'une observation : 5 minutes peuvent paraître une seconde comme une éternité. A l'époque, on pouvait passer 30 minutes sur une activité en ayant la sensation que seulement cinq venaient de passer. Inimaginable aujourd'hui n'est-ce pas ? 


Et pourtant, c'est à ce moment-là que tout a basculé. Les premiers utilisateurs déclarent qu'ils sont beaucoup plus productifs depuis qu'ils portent cette montre. Ils ne perdent plus de minutes à rêvasser ou à dévorer leur temps dans des activités chronophages ; Durr est là pour leur rappeler que le temps passe.

La montre connaît un succès foudroyant dans les mois suivants. D'abord en rupture de stock, elle finit par envahir l'ensemble de la planète. Elle résoudra même la crise économique qui durait depuis 2008. C'est là que le rythme du monde entier va s'accélérer. Au début, elle est portée seulement pendant la journée, elle intensifie et dynamise la vie d'entreprise. Puis le corps humain s'est adapté, jusqu'à modifier progressivement le temps de sommeil qui durait en moyenne SEPT HEURES ! 

Oui, il y a 40 ans, nous dormions 8 heures par nuit, nous avions des journées de 16 heures généralement rythmées principalement par le travail. Nous lisions 20 minutes ou 2 heures, nous nous promenions 15 minutes ou 1 heure, nous dansions 2 minutes ou 4 heures.

Vous vous en souvenez ? Non ? Trop tard, vos cinq minutes sont écoulées.

Des nouvelles du futur : Comment Flappy Bird nous a menés à l'ère du smartphone jetable

Ecrit le 6 février 2017

Du téléphone portable à l'ordinateur en passant par les tablettes, plus aucun de ces produits ne se garde plus d'une semaine, sous peine de passer pour un vieux réac'. L'iphone 86S débarque aujourd'hui, remplaçant le 86 sorti il y a deux jours. L'ère de l'hypra-consommation est en route ; les objets sont des papillons de nuit qui ne durent pas plus de 24h.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Tout a commencé ici :


Début de l'année 2014, le jeu Flappy Bird commence à connaître un énorme succès. Avec plus de deux millions de téléchargements par jour, il se classe en tête des applications gratuites mondiales. A cette époque considéré comme un jeu venu directement des enfers, c'est ce petit oiseau au graphisme simplissime qui a transformé notre rapport aux appareils électroniques. Il a rendu fous des millions d'utilisateurs qui n'avaient pas d'autres choix que de jeter violemment leurs smartphones contre leurs murs pour calmer leur haine. A l'origine moqués, les premiers joueurs fous ont vite été suivis par le reste de la population qui n'a pas su garder son calme devant cette application.


Le jeu a fini par disparaître mais la tendance a pris petit à petit une nouvelle forme : celle du défi. C'était à celui qui explosait son smartphone de la manière la plus spectaculaire. Du haut d'une tour, en ricochet, en sautant dessus avec des échasses, l'année 2014 a été celle de la destruction massive des téléphones portables suivie d'une extrême hausse de leur vente.
C'est à ce moment-là que les mobiles ont commencé à perdre toute leur valeur. Leur durée de vie est passée de deux ans à une semaine en moyenne, nous menant à l'ère du smartphone jetable. Cette tendance se répercutera en 2015 sur l'ensemble des appareils électroniques et aboutira à la situation que l'on connaît aujourd'hui, en 2017.

Tout ça à cause d'un oiseau à la con.

CV billet de banque





CV en forme de billet de 20€ laissé dans le hall de différentes agences de publicité pour trouver un stage en 2012